Le traitement des clients potentiels dans le cadre de la législation suisse sur les services financiers

 

Von Frédéric Bétrisey
Rechtsanwalt, Partner bei Bär & Karrer

 

La nouvelle législation suisse sur les services financiers est entrée en vigueur au début de l'année 2020. Après une période transitoire de deux ans, qui a pris fin le 31 décembre 2021, tous les prestataires de services financiers, notamment les gestionnaires de fortune collective ou individuelle, sont soumis à un nouveau régime dans le cadre du traitement des clients potentiels ou existants en Suisse ou depuis la Suisse. Dans ce contexte, ils sont notamment tenus de respecter des règles de comportement et d'organisation.

Comme c'est le cas dans les législations étrangères, le droit suisse prévoit certaines exemptions à l'application des nouvelles règles. Ces exemptions dépendent généralement de la catégorie de clients. Pour pouvoir bénéficier de ces exemptions, et comme le prévoit expressément la loi, les prestataires de services financiers doivent classer leurs clients dans les catégories pertinentes (clients institutionnels, professionnels ou privés).

Les nouvelles règles s'appliquent aux services rendus aux clients existants. Toutefois, la loi ne donne aucune indication sur la manière dont le prestataire de services financiers doit traiter les clients potentiels. La nouvelle législation est-elle déjà applicable lorsqu'on rencontre un éventuel client ? Quelles mesures peuvent-elles être prises pour atténuer les éventuels problèmes ? Cet article a pour but de mettre au jour certaines conséquences imprévues de la nouvelle législation.

Réglementation et promotion des services financiers

La fourniture de cinq types différents de services financiers est assujettie à la Loi fédérale sur les services financiers (RS 950.1; LSFin) :

  • la réception et l'acheminement d'ordres portant sur des instruments financiers ;
  • la gestion d'instruments financiers (gestion de fortune) ;
  • l'émission de recommandations personnalisées concernant des opérations sur instruments financiers (conseil en placement) ;
  • l'octroi de crédits destiné à financer des transactions sur de tels instruments ; et
  • l'acquisition ou l'aliénation d'instruments financiers.

Les instruments financiers comprennent les titres de participation, les titres de créance, les parts de placements collectifs de capitaux, les produits structurés, les dérivés, les dépôts et les obligations.

Selon la LSFin, les investisseurs doivent être classés dans une des trois catégories de clients suivantes :

  • Les clients professionnels : cette catégorie comprend notamment les intermédiaires financiers, les entreprises d'assurance, les banques centrales, les grandes entreprises, les institutions publiques et privées (y compris les fonds de pension) disposant d'une trésorerie professionnelle, et les structures d'investissement privées qui disposent également d'une telle trésorerie.
  • Les clients privés : cette catégorie inclut tous les investisseurs qui ne sont pas - ou ont choisi de ne pas être - considérés comme des clients professionnels.
  • Les clients institutionnels : cette catégorie comprend, d'une part, une sous-catégorie de clients professionnels (à savoir les institutions assujetties à surveillance et les banques centrales) et, d'autre part, les établissements nationaux et supranationaux de droit public, à condition qu'ils disposent d'une trésorerie professionnelle.

Une trésorerie est considérée comme professionnelle lorsque l'entreprise concernée en confie la gestion, en interne ou à l'externe, à une personne disposant d'expérience et de qualifications dans le domaine financier (voir article 3 alinéa 8 de l'ordonnance sur les services financiers, RS 950.11; OSFin).

Les clients privés fortunés et les structures d'investissement privées instituées pour ceux-ci, s'ils remplissent les conditions prévues à l'article 5 alinéa 2 LSFin, peuvent se soustraire (opting-out) au régime de protection des clients privés et choisir d'être considérés comme des clients professionnels (clients professionnels électifs). Un client privé est considéré comme fortuné s'il dispose d'un patrimoine financier d'une valeur minimale de CHF 2 millions. Un niveau de fortune de CHF 500'000 est suffisant si le client peut justifier de connaissances suffisantes et de l'expérience nécessaire du secteur financier.

Les prestataires de services financiers opérant depuis la Suisse sont, en principe, autorisés par l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et assujettis à la surveillance directe de la FINMA ou à celle d'un organisme de surveillance agréé par la FINMA. S'ils ne sont pas assujettis à surveillance, ils sont tenus d'inscrire les employés qui sont au contact de la clientèle auprès d'un registre officiel de conseillers. S'ils servent des clients privés, ils doivent en outre être affiliés à un organe de médiation reconnu par le Département fédéral des finances (DFF).

Avant de commencer à fournir des services financiers ou de conclure les contrats correspondants, les prestataires de services financiers doivent fournir certaines informations au client, notamment sur les services fournis, les risques encourus et les frais qui lui seront facturés. Les conseillers financiers doivent vérifier le caractère approprié des recommandations portant sur des transactions isolées, c'est-à-dire s'assurer que le client est à même d'apprécier les tenants et aboutissants de la recommandation en fonction de son expérience et de ses connaissances. Si le service de conseil prend en compte l'ensemble du portefeuille du client, l'adéquation doit en outre être garantie, ce qui suppose que le placement recommandé s'inscrive dans les objectifs d'investissement du client et soit compatible avec sa propension au risque.

Certaines obligations ne s'appliquent pas lorsque le client est un client institutionnel ou professionnel. Ainsi, afin de déterminer quelles obligations leur sont applicables, les prestataires de services financiers doivent, conformément à l'art. 4 LSFin, classer leurs clients dans les catégories pertinentes ; alternativement, ils peuvent considérer tous leurs clients comme des clients privés et leur accorder le niveau de protection le plus élevé prévu par la LSFin.

Ainsi qu'on l'a mentionné plus haut, les clients professionnels électifs doivent justifier d'un certain niveau de fortune afin de pouvoir renoncer au régime de protection des clients privés en changeant de catégorie. Une telle renonciation doit être effectuée par écrit et ne peut être présumée. En outre, tout client classé dans une catégorie peut opter pour une autre catégorie offrant un niveau de protection plus élevé (opting-in) - par exemple, les clients professionnels peuvent déclarer par écrit qu'ils choisissent d'être traités comme des clients privés. Un prestataire de services doit informer le client de la possibilité qu'il a d'opter à tout moment pour une catégorie offrant une plus grande protection, lorsqu'il a classé ce client dans une autre catégorie que celle des clients privés (voir article 5 alinéa 7 LSFin).

En outre, en vertu de leur statut au regard de la LSFin, les clients professionnels et institutionnels sont considérés comme des investisseurs qualifiés au sens de la Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (RS 951.31; LPCC). Les fonds étrangers qui n'ont pas été approuvés par la FINMA en vue de leur commercialisation auprès de tout type d'investisseurs peuvent être proposés à des investisseurs qualifiés par le biais d'un placement privé, sous réserve de la désignation d'un représentant et d'un service de paiement en Suisse si les investisseurs qualifiés visés comprennent des clients professionnels électifs. Les clients (y compris les clients privés) qui ont établi une relation de gestion de fortune ou de conseil en placement sur le long terme avec un intermédiaire financier assujetti à surveillance en Suisse ou à l'étranger sont également considérés comme des investisseurs qualifiés au sens de la LPCC.

La commercialisation d'autres instruments financiers est soumise à de nouvelles obligations d'information selon la LSFin. En particulier, une feuille d'information de base doit être fournie aux clients privés lorsque des instruments financiers (autres que des actions ou obligations classiques) leur sont proposés. Des exigences particulières s'appliquent en ce qui concerne l'émetteur si l'instrument financier est un produit structuré.

Bien que la promotion d'instruments financiers, en général, ne soit pas régie par une loi spéciale, la commercialisation de certains instruments financiers est sujette à une réglementation particulière, même si elle ne comporte aucune recommandation ou conseil. En raison de l'inclusion de l'acquisition d'instruments financiers dans la liste des services financiers assujettis à la LSFin, toute activité visant spécifiquement (en dernier ressort) l'acquisition ou la vente d'un instrument financier est considérée comme un service financier, même si aucun conseil n'est fourni ni aucune offre faite à un stade relativement précoce de l'activité. Cette qualification de service financier ne s'étend pas au partage d'informations avec d'autres intermédiaires financiers - par exemple, dans le cadre de tournées de présentation (road-shows).

Néanmoins, lorsqu'un client potentiel n'est manifestement pas un intermédiaire financier, il découle de la LSFin qu'aucun instrument financier ne doit faire l'objet d'une présentation à ce client cible si cette commercialisation est qualifiée de service financier, dans le cas où le prestataire de services financiers n'a pas encore procédé à la classification du client et qu'il n'est, par conséquent, pas en mesure de déterminer si le produit concerné peut ou non être proposé au client concerné. Par exemple, un fonds étranger qui n'a pas été approuvé par la FINMA ne peut pas être proposé à un client privé suisse. Même la pré-commercialisation du produit peut relever de la prestation d'un service financier, qui, même si elle n'implique pas encore une offre, est potentiellement assujettie à la LSFin. Une pré-classification des clients peut ne pas être totalement suffisante pour éviter un assujettissement à la LPCC.

Utilité des exemptions

Sollicitation passive

Comme c'est le cas dans l'Union européenne, la LSFin ne s'applique pas en cas de sollicitation passive (reverse solicitation), mais il importe de garder à l'esprit que ce concept est étroitement défini. Il s'applique aux services financiers isolés que fournit un prestataire étranger à l’initiative expresse du client ou, de manière plus étendue qu'en droit européen, à tous les services financiers rendus par des prestataires étrangers dans le cadre d’une relation clientèle établie à l’initiative expresse du client. L'exemption n'est cependant applicable que si le prestataire de services financiers n'a pas été préalablement en contact avec le client potentiel ; tout contact initialement établi à l'initiative d'un prestataire de services financiers exclut pratiquement le recours ultérieur à la reverse solicitation. Par conséquent, lorsqu'ils traitent avec des clients potentiels, les prestataires de services financiers peuvent rarement s'appuyer sur cette exemption. Ils doivent définir un processus leur permettant de classer leurs clients le plus tôt possible.

En fonction de la classification des clients

Si les clients sont considérés comme des clients institutionnels et professionnels per se (par exemple, des institutions de prévoyance disposant d’une trésorerie professionnelle) ou comme des clients professionnels électifs, le prestataire de services financiers peut supposer, en l'absence d'indication contraire, que le client est en mesure d'évaluer de manière indépendante le caractère approprié et adéquat du service. Le prestataire est donc libéré des obligations de vérifier l'adéquation et le caractère approprié du produit ou du service proposé à de tels clients. En outre, aucune obligation d'information ne s'applique à la documentation d'offre relative aux instruments financiers proposés à des clients professionnels. Le prestataire de services financiers est donc dispensé de l'obligation de fournir au client un document d'information, tel que la feuille d'information de base, et aucune obligation de remettre un prospectus ne s'applique. Pour autant que le client professionnel soit un client institutionnel ou professionnel per se, il n'est pas nécessaire de désigner, pour les fonds étrangers, un représentant et un service de paiement en Suisse, et l'obligation d'affiliation à l'organe de médiation ne s'applique pas non plus. Ces formalités ne sont requises que lorsque le client est un client professionnel électif. Par conséquent, même si un fonds a désigné un représentant et un service de paiement en Suisse, un prestataire de services financiers ne peut pas pré-commercialiser ce fonds auprès d'un client potentiel si ce client est un client privé, tant que celui-ci n'a pas remis une déclaration d'opting-out au prestataire de services financiers - une étape qui n'est généralement accomplie qu'après l'acceptation du client. Cette question réduit considérablement l'éventail des instruments financiers sur lesquels le gestionnaire de fortune peut mettre l'accent lorsqu'il rencontre un client potentiel.

En outre, seuls les clients institutionnels per se peuvent être servis sans que le prestataire ait à remplir au préalable les obligations d'information applicables selon la LSFin. Les clients professionnels qui ne sont pas des clients institutionnels peuvent également renoncer à cette obligation d'information, pour autant que cette renonciation soit donnée par écrit ou sous une forme équivalente. Une telle renonciation ne serait évidemment fournie que pendant le processus d'acceptation de la clientèle ; par conséquent, le prestataire de services financiers peut être tenté de traiter les clients professionnels qui ne sont pas des clients institutionnels (par exemple, les véhicules d'investissement privés disposant d'une gestion de trésorerie professionnelle) de la même manière que les clients privés tant qu'ils n'ont pas été acceptés formellement en tant que clients.

Prestataires de services financiers étrangers

Les conseillers à la clientèle de prestataires de services étrangers ne peuvent en principe exercer leur activité en Suisse que s'ils ont inscrit les employés concernés dans un registre de conseillers reconnu. Les prestataires de services financiers étrangers assujettis à surveillance qui servent (exclusivement) des clients institutionnels et professionnels per se sont exemptés de cette obligation d'enregistrer leurs conseillers à la clientèle. Là encore, cette exemption nécessite une pré-classification des clients. Une fois la classification effectuée, le client doit être informé qu'il peut opter pour un régime de protection plus élevé (opting-in). En raison de la description large des services financiers, cette notification doit être faite avant la commercialisation des instruments financiers.

Conclusion

La LSFin visait essentiellement à garantir le traitement équitable de tous les prestataires de services financiers et en particulier à faire en sorte qu'ils soient sujets à des obligations équivalentes, quel que soit le niveau de réglementation auquel ils sont soumis. Les banques, par exemple, se montraient satisfaites à l'idée que des concurrents tels que les gestionnaires de fortune indépendants soient à présent soumis aux mêmes règles que celles qui leur sont applicables. Les banques n'avaient toutefois pas toutes anticipé que les nouvelles règles auraient des effets secondaires, notamment sur la manière d'appréhender les clients cibles et de présenter à ceux-ci la palette des instruments et services financiers qui leur sont proposés. Les prestataires de services financiers doivent désormais rapidement intégrer ces nouvelles règles dans leur processus de vente.

Biographie

Frédéric Bétrisey est avocat, associé de l'étude Bär & Karrer à Genève. Sa pratique s'étend à tous les aspects de la réglementation bancaire et des services financiers, y compris les normes applicables aux placements collectifs de capitaux et de produits financiers. Il assiste également ses clients dans leurs opérations de financement et la rédaction de leur documentation contractuelle, notamment celle relative à leurs mandats de gestion de fortune et de conseil en placement. Il intervient aussi en tant que conseil juridique dans le cadre de programmes de titrisation et de covered bonds.